Pour une politique de soutien à l'agriculture locale
#Agriculture Dispositif d'interpellation citoyenne
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La manifestation de mécontentement des agriculteurs ne faiblit pas. La mobilisation de l’entièreté des mouvements politiques, des syndicats agricoles ainsi que l’opinion publique ont soulevé une problématique qui n’a obtenu aucune réponse politique d’ampleur, que ce soit au niveau national ou au niveau local.
Nous reconnaissons que la ville de Bordeaux a commencé à agir, notamment au travers de la cantine scolaire, avec 50% des denrées alimentaires provenant de la Nouvelle-Aquitaine et par l'expérimentation de la Sécurité Sociale alimentaire. Mais ce sera insuffisant pour inverser la tendance d’une dégradation des conditions de vie des agriculteurs :
Selon l’Insee, 15 % des agriculteurs non salariés déclarent un revenu nul ou déficitaire et un sur cinq bénéficie du microbénéfice agricole, un régime d’imposition réservé aux revenus inférieurs à un seuil fixé. Ces derniers gagnent en moyenne 670 euros par mois en 2021, relève l’Insee, et 18 % ont un revenu qui les situe sous le seuil de pauvreté – mais sans tenir compte de leur patrimoine ni de leurs revenus complémentaires. « Il y a certainement des agriculteurs qui vivent avec moins de 350 euros par mois, mais il est impossible de dire combien (Le Monde, article du 1er février 2024).
La situation est d’autant plus urgente que le nombre d’agriculteurs est de moins de 800 000 personnes en France, ce qui est insuffisant au regard des objectifs écologiques et de souveraineté alimentaire du pays. Or, les conditions de travail actuelles ne permettent pas de renverser cette tendance.
L’esprit général de nos propositions consiste à maximiser le potentiel de la ville-centre de Bordeaux, de par le pouvoir d’achat et la densité supérieurs de sa population, pour en faire un débouché moteur pour la production agricole. Nous pensons qu’il est de la responsabilité de Bordeaux d’être une protection pour son agriculture locale. Cela signifie également que toute solution envisagée par le prisme de l’auto-suffisance sera vouée à l’échec (la métropole n’ayant la capacité de nourrir sa population qu’à hauteur de 2%, et même à l’échelle du département, cela serait insuffisant). Nous allons donc faire différentes propositions que nous aimerions voir être débattues au conseil municipal.
Nous avons divisé nos propositions en deux catégories : les propositions visant un développement de la filière agricole par des investissements et des réorganisations, et les propositions contraignantes envers les grandes surfaces.
Réorganisation : Bordeaux soutient ses agriculteurs
Transformation alimentaire : l’enjeu est la structuration d’une distribution locale et cela passe par la construction d’un débouché local plus sûr, mais également par la construction d’entités de transformation. 80% des produits alimentaires consommés sont transformés. Or, c’est une activité très peu développée sur le territoire. L’ambition est de structurer cette filière pour que demain nous puissions obliger la grande distribution à s’intégrer au réseau local. Il est impossible d’envisager des débouchés pour l’agriculture locale avec des structures de tailles raisonnables sans envisager la relocalisation d’un tissu de transformation. La ville et les autres collectivités locales doivent utiliser leur pouvoir d’investissement et d’aide administrative. Nous pensons qu’un engagement de Bordeaux pour une planification de cette réindustrialisation serait une réponse appropriée à cet enjeu.
Les marchés couverts : il y en a très peu pour qu’une alternative aux grandes surfaces soit réellement convaincante. Rien que pour la ville de Bordeaux, il en faudrait au minimum 2 pour chacun des 8 quartiers de la Ville, dans un objectif de concurrencer les grandes surfaces dans l’alimentation quotidienne.
Gratuité des emplacements pour les producteurs locaux : il serait intéressant d’obtenir des éclaircissements sur la politique de la ville quant aux places des marchés. Est-il possible d’obtenir la gratuité pour les emplacements de producteurs locaux afin de développer la filière ?
Des contraintes pour la grande distribution
C’est une des revendications de la convention citoyenne, mais nous tenons à faire une présentation détaillée des difficultés d’une telle mesure, nécessitant de l’ambition dans la mise en action de la ville de Bordeaux.
Les points de vente de grande surface se multiplient à Bordeaux : en 2015, en aggravation par rapport à 1998, un rapport d’Oxfam montre que les agriculteurs récupèrent 6,5% de ce qui est payé par le consommateur contre 48,3% par les grandes surfaces, or, sur les 22 milliards de bénéfice touché par les 8 plus grandes enseignes cotées en bourse, 15 milliards ont été versés en dividendes plutôt qu’en réinvestissement dans la filière. De plus, les citadins ne participent pas suffisamment à la prospérité du monde rural, duquel pourtant ils dépendent : selon le diagnostic de résilience alimentaire de la Ville de Bordeaux, 87% des Bordelais font leurs courses en grande surface, 70% en ce qui concerne l’intégralité des Français.
L’agriculture locale peut difficilement lutter avec la puissance économique des grandes surfaces, qui, malgré des efforts en réaction à la colère du monde agricole, n’a pas intérêt à protéger la filière locale. Il est donc primordial de reprendre la main sur l’implantation de grandes surfaces en ville. Un énième carrefour est en construction sur l’axe St Michel, Nansouty. Au total, sur 1.5km de trajet, on trouve 6 Carrefour de proximité, alors même qu’il y a le marché des Capucins dans le secteur.
Toutefois, c’est un sujet juridique complexe. La loi Royer de 1973 visait à réguler l’implantation des grandes surfaces à travers des commissions départementales d’aménagement commercial. Cette dernière confère ou non une autorisation d’exploitation. Cependant, son efficacité est plus que douteuse :
Alors qu’il n’y a que 209 hypermarchés en France au moment de l’adoption de la loi ROYER en 1973, on en comptabilise 1 444 en 2007 selon l’INSEE, et 2 257 en 2020 selon une étude LSA (…) En 2016, 82 % des demandes d’autorisation ont été accordées par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) (…) En effet, bien que la chambre des métiers refuse elle presque toujours le projet pour protéger le petit commerce, la législation est contournée en trichant sur la surface de vente. De plus, les reprises d’enseigne ne sont pas surveillées. Enfin, les hypermarchés étaient globalement refusés mais le ministère les autorise en appel (“La refondation du droit de l’aménagement commercial, Emmanuelle Bornet, dir. Jean-François, Giacuzzo, 2021-2022”).
Un premier problème est l’interdiction faite au citoyen de contrôler le tissu commercial de leur ville afin de protéger l’agriculture locale. C’est un problème constitutionnel car l’article 4 de la DDHC sur la liberté de commerce et d’industrie empêche tout interventionnisme en la matière, et encore moins pour une commune. Un problème connexe est l’opacité de cette commission départementale.
Toutefois, nous estimons que la ville de Bordeaux a un pouvoir d’initiative que nous souhaitons solliciter en raison de la présence du maire de Bordeaux dans cette commission qui est composée par : le maire de la commune d’implantation ; le président de l’EPCI à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre ; le président du syndicat mixte ou de l’EPCI chargé du SCOT dans le périmètre duquel est située la commune d’implantation ; le président du conseil départemental ; le président du conseil régional ; un membre représentant les maires au niveau départemental ; un membre représentant les intercommunalités au niveau départemental.
Pour solutionner ces problèmes, nous souhaiterions une plus grande transparence sur les décisions et les votes de chacun des membres lors de ces commissions, ainsi qu’un débat sur l’argumentation à envisager afin d’empêcher de nouveaux projets. Nous avons remarqué que le critère du développement durable était souvent utilisé dans ces commissions. La commission européenne exige une remise en cause de l’approvisionnement de base de proximité pour censurer un projet. Peut-être que la survie de l’agriculture locale pourrait être un bon argument pour freiner le développement des grandes surfaces.
Aussi, nous pensons que le SCOT pourrait également être un moyen d’action. La commune de Bordeaux est amenée à donner son avis sur ce document. Dans le SCOT, il y a notamment le nouveau DAACL du DOO du SCOT. Il doit déterminer les conditions d’implantation des grands équipements commerciaux qui ont un impact sur l'aménagement du territoire et le commerce de centre-ville. La mairie de Bordeaux pourrait organiser un débat au conseil municipal afin de privilégier l’agriculture locale et repousser le développement des grandes surfaces.
Enfin, une action possible pour Bordeaux pourrait également être une interpellation, par le biais d’une lettre ouverte ou autre, afin de réclamer un débat national sur les compétences des communes et intercommunalités sur le sujet. Il est question ces derniers temps de faire de l’agriculture un secteur d’exception. Cela pourrait être l’occasion pour des villes de se voir attribuer la responsabilité de refuser et même de fermer des enseignes qui ne respectent pas certains critères définis par la politique locale. Une réforme de la constitution est sans doute nécessaire, car cela heurterait la liberté du commerce et de l'industrie. Mais le débat politique de fond se situe sans doute à cet endroit. Cette interpellation pourrait être le début d’une réflexion sur l’atténuation nécessaire de cette liberté au moins dans le cadre de l’agriculture qui réclame du protectionnisme.